Deux tendances diamétralement opposées mais complémentaires – l’une en mode grunge maximaliste, l’autre en lifestyle holistique épuré – dominent les plateformes sociales. Décryptage.
Une nostalgie messy et assumée : retour en force de l’indie sleaze
Le revival de l’indie sleaze n’est pas un feu de paille. Ce courant marque le rejet du minimalisme aseptisé et du “quiet luxury” pour revenir à un style volontairement désordonné, maximaliste, et profondément ancré dans la culture des années 2000. Sur TikTok et Pinterest, on décèle un goût prononcé pour les vestes en cuir vintage, jeans taille basse, imprimés léopard, body lamé, crop tops et chaines en or, plus clinquants que jamais. Le tout relevé d’un smudged eyeliner ou d’un filtre flash d’appareil jetable, rappelant les flashs des photocall indie des décennies passées.
Chez les grandes maisons, l’influence ne se cache plus : Armani, Cavalli, Ann Demeulemeester et Rabanne ont glissé des silhouettes “indie sleaze” dans leurs collections printemps‑été 2025, avec vestes asymétriques, tops transparents et cuirs clinquants – comme une revanche anti‑luxury mais assumée. Le philosophe de la mode serait presque homologué par Prada S/S25, où le chaos visuel se fait vecteur identitaire.
That Girl : un univers maîtrisé dans un cadre ultra-clean
En parallèle, le pendant polar opposé, le mouvement That Girl, cultive un idéal de contrôle absolu : smoothie bowl tous les matins, séance de sport, routine beauté impeccable, tenue blanche nickel… le tout partagé sur Instagram et Pinterest dans des contenus featuring marques lifestyle chics : Lululemon, Aesop, Léon & Harper, ou encore cultes comme Celine pour des pièces minimales mais luxueuses.
À l’image des capsules “Clean Girl” ou “Vanilla Girl”, l’esthétique That Girl prône un bien‑être holistique où chaque geste est calculé, chaque couleur maîtrisée : camaïeux doux, lignes nettes, visuels épurés. Un registre rassurant, presque médical, où l’on vend du contrôle sur soi, dans un monde de plus en plus chaotique.
Deux tendances, un même reflet de notre époque
Alors pourquoi ces deux univers opposés font-ils autant écho ? Il existe ici un paradoxe générationnel saisissant : d’un côté, la volonté de sublimer le désordre, la récup', l’irrationnel (indie sleaze) ; de l’autre, la maîtrise de chaque instant, la beauté contrôlée, le bien‑être self‑care (That Girl).
- Économie post‑crise et nostalgie : l’indie sleaze puise dans les vestiges de la crise de 2008, une époque où résilience rimait avec débrouille et créativité spontanée.
- Digital fatigue et burnout : That Girl répond à une aspiration au calme et à la régulation dans un monde hyperconnecté et anxiogène.
- Cycle de 20 ans : la mode fonctionne par cycles, d’où ces retours en boucle de tendances (Y2K, 90’s, aujourd’hui 2010’s), d’autant plus marqués à l’ère des algorithmes.
Marques & influenceuses : qui incarne quoi ?
Plusieurs marques surfent sur ces esthétiques fortes :
- American Apparel remonte en puissance via Depop et second‑hand, incarnant l’esprit indie sleaze avec ses basics métal et ses bodys.
- Urban Outfitters et ses pièces vintage remixées aux coupes floues, imprimés saturés, très au cœur du revival 2025.
- Lululemon et Aesop représentent l’ultra‑maîtrisé That Girl, avec leurs univers clean et fonctionnels.
- Celine, grâce à Hedi Slimane, propose une version minimaliste mais luxe, entre Tailoring Purity et rigueur esthétique.
Influenceuses comme Addison Rae ou Charli XCX jouent sur les deux tableaux : l’une passe du grainy lens indie sleaze à des looks nettoyés pour sa période pop “That Girl”, l’autre incarne déjà l’it-girl moderne, entre spontanéité grunge et sophistication lisse.
Les clins d’œil culturels et sociétaux
Le phénomène indie sleaze évoque la nostalgie de Tumblr, des mp3 LimeWire, le caractère rebelle d’Effy Stonem ou de Kate Moss, dans une mise en scène sans filtre. C’est un “mess is the message” assumé, en réaction à l’uniformisation des feeds.
That Girl, elle, est portée par la culture wellness : routines santé, ambiances zen, chambres Instagrammables et soirées clean. Mais cette hyper-organisation est aussi un terrain glissant : beaucoup dénoncent le côté élitiste ou irréaliste pour les femmes avec des contraintes (famille, horaires, revenus). Le risque : une pression sur la performance personnelle d’un côté, un chaos esthétique décomplexé de l’autre.
Comment vivre ces tendances au quotidien ?
Vous voulez tester sans sombrer dans l’extrême ?
Pour l’indie sleaze : misez sur une pièce phare vintage (manteau léopard, body métal…), ajoutez un trait d’eyeliner et un filtre vieux polaroïd sur vos stories. L’idée n’est pas de faire le fashion faux pas, mais de jouer le désordre contrôlé : un soupçon suffit.
Pour That Girl : adoptez une routine douceur : petit déjeuner healthy, sneakers blanches immaculées, sac en cuir minimal (Léon & Harper ou Celine), mais gardez du naturel dans l’imprévu : une sortie spontanée, un brunch entre amies sans check‑list.
Conclusion : deux visages d’un même besoin générationnel
Indie sleaze et That Girl ne sont pas de simples esthétiques. Elles traduisent deux aspirations contemporaines :
- L’envie de briser la perfection lisse – à travers la récup, la frange édito-ugly-luxe et l’irrévérence.
- Le désir de se sécuriser – à travers la maîtrise du corps, de la routine, du feed.
Dans un monde hyperconnecté et post‑pandémique, ces deux tendances sont deux piliers opposés mais complémentaires du même équilibre émotionnel : casser le carcan du perfectionnisme, tout en cherchant des repères sains.
En matière de mode, plus que jamais, la clé réside dans l’équilibre. Un petit aperçu de chaos peut être aussi libérateur qu’un moment diaphane de routine bien ficelée. Et c’est sans doute cette dualité qui fait notre époque.